A TOUS LES PEINTRES
ET A TOUS CEUX QUI, AIMANT L'INSTRUCTION, ETUDIERONT CE LIVRE,
SALUT DANS LE SEIGNEUR.
Sachant, ô vous tous, disciples des peintres laborieux, que le Seigneur, dans son saint Evangile, a maudit celui qui avait enfoui son talent, en lui disant : « Méchant et paresseux serviteur, tu devais faire valoir l'argent que je t'avais confié, afin qu'à mon retour je pusse le retrouver avec profit, » j'ai craint moi-même d'encourir cette malédiction. Je n'ai donc pas voulu cacher mon talent, c'est-à-dire le peu d'art que je connais, que j'ai appris depuis mon enfance et étudié avec beaucoup de peine, m'efforçant d'imiter, autant qu'il m'était possible, le célèbre et illustre maître Manuel Pansélinos de Thessalonique.
Après avoir travaillé dans les églises admirables qu'il a ornées de peintures magnifiques dans la montagne sainte de l'Athos, ce peintre jeta autrefois un éclat si brillant par ses connaissances dans son art, qu'il était comparé à la lune dans toute sa splendeur. Il s'est élevé au-dessus de tous les peintres anciens et modernes, comme le prouvent encore évidemment ses peintures sur mur et sur bois. C'est ce que comprendront très-bien tous ceux qui, possédant un peu la peinture, contempleront et examineront les oeuvres de ce peintre. Cet art de la peinture, qui, dès l'enfance, m'a coûté tant de peine à apprendre à Thessalonique, j'ai voulu le propager pour l'utilité de ceux qui veulent également s'y adonner, et leur expliquer, dans cet ouvrage, toutes les mesures, les caractères des figures, et les couleurs des chairs et des ornements, avec une grande exactitude. En outre, j'ai voulu expliquer les mesures du naturel, le travail particulier à chaque sujet, les différentes préparations de vernis, de colle, de plâtre et d'or, et la manière de peindre sur les murs avec le plus de perfection. J'ai indiqué aussi toute la suite de l'Ancien et du Nouveau Testament; la manière de représenter les faits naturels et les miracles de la Bible, et en même temps les paraboles du Seigneur; les légendes, les épigraphes qui conviennent à chaque prophète; le nom et les caractères du visage des apôtres et des principaux saints; leur martyre et une partie de leurs miracles, selon l'ordre du calendrier. Je dis comment on peint les églises, et je donne d'autres enseignements nécessaires à l'art de la peinture, ainsi qu'on peut le voir dans la table. J'ai rassemblé tous ces matériaux avec beaucoup de peine et de soins, aidé de mon élève, maître Cyrille de Chio, qui a corrigé tout cela avec une grande attention. Priez donc pour nous, vous tous, afin que le Seigneur nous délivre de la crainte d'être condamnés comme mauvais serviteurs.
Le plus indigne des peintres,
DENYS,
Moine de Fourna d'Agrapha.
.
Guide pour la peinture sur mur, c'est-à-dire manière de peindre sur
le mur et de préparer les pinceaux destinés à cet usage.
Sachez que les pinceaux dont on se sert pour esquisser se préparent avec la crinière de l'âne, le fanon du boeuf, les poils roides de la chèvre, ou la barbe du mulet. Vous les ferez en liant ces poils et en les assujettissant dans une plume d'aigle. Ils vous serviront à esquisser, à faire les chairs et les parties éclairées, ou d'autres choses. Pour les pinceaux à enduits, il faut employer les poils de cochon. Vous les fixerez d'abord avec de la cire; puis vous les affacherez sur un manche de bois, sans employer des plumes.
Comment on purifie la chaux.
Lorsque vous voudrez peindre des murs, choisissez de la bonne chaux; qu'elle soit grasse comme de l'axonge, et qu'elle ne contienne pas de pierres non calcinées. Si elle est maigre et remplie de ces sortes de pierres, faites-vous une auge en bois. Creusez une fosse de la grandeur nécessaire. Mettez la chaux dans l'auge, et ajoutez de l'eau que vous remuerez soigneusement avec un crochet, jusqu'à ce que la chaux paraisse bien délayée. Versez cette chaux dans un panier placé au-dessus de la fosse et qui arrêtera les pierres. Puis le lait de chaux ainsi obtenu sera laissé tranquille, jusqu'à ce qu'il soit coagulé et susceptible d'être pris à la pelle.
Comment on mêle la chaux avec la paille.
Prenez de la chaux purifiée et mettez-la dans une grande auge. Choisissez de la paille fine et sans poussière; mélangez-la avec la chaux, en remuant avec une pioche. Si la chaux est trop épaisse, ajoutez de l'eau pour arriver au point de l'employer facilement pour travailler. Laissez les choses fermenter deux ou trois jours, et vous pourrez ensuite faire des enduits.
Comment on mêle la chaux avec l'étoupe.
Choisissez la meilleure chaux que vous aurez préparée; mettez-la dans une petite auge. Prenez de l'étoupe bien nettoyée de toute écorce et bien écrasée; tordez-la comme pour faire une corde, et, à l'aide d'une hachette, coupez-la le plus menu que vous pourrez; agitez-la bien, pour faire tomber les ordures, et jetez-la dans l'auge, où vous la mélangerez soigneusement à l'aide d'une pelle ou d'une pioche. Vous aurez soin d'essayer et de recommencer, jusqu'à ce que la chaux ne se fende pas sur le mur. Laissez-la également fermenter comme l'autre, et vous aurez ainsi la chaux préparée à l'étoupe pour former les enduits superficiels.
Comment on enduit les murs.
Lorsque vous voulez peindre une église, il faut commencer par les parties les plus hautes et finir par les plus basses. Pour cela, vous commencez par placer une échelle. Ensuite, prenez de l'eau dans un large vase, et jetez-en avec une cuillère contre le mur, afin de l'humecter. Si ce mur est bâti en terre, grattez la terre avec une truelle autant que vous pourrez, parce que, surtout à la voûte, la chaux se détacherait plus tard. Mouillez de nouveau et polissez la surface. Si le mur est en briques, vous le mouillerez à cinq ou six reprises et vous ferez un enduit de chaux, de l'épaisseur de deux doigts et plus, pour retenir de l'humidité, et pour que vous puissiez vous en servir. Si le mur est en pierre, mouillez-le seulement une ou deux fois, et mettez une bien plus petite quantité de chaux car la pierre prend facilement l'humidité et ne se sèche pas. Pendant l'hiver, mettez un enduit le soir et un autre plus superficiel le lendemain matin. Dans la belle saison, faites ce qui vous sera le plus commode et, après avoir mis le dernier enduit, égalisez-le bien; laissez-lui prendre de la consistance et travaillez.
Le Manuel d'iconographie (version numérisée)
|