icône




Last Judgment (Theraponte)

La Transfiguration - Père Egon Sendler

Le temps n’est plus, heureusement, où la méconnaissance pouvait se teinter de mépris entre les chrétiens d’Occident qui jugent l’art des Eglises orientales figé, hiératique, sans fantaisie, et ceux d’Orient qui reprochent aux premiers d’imiter la nature et à manquer de profondeur théologique. Dès le dix-huitième siècle l’influence de l’Occident à travers le style et la nature méditative se décèlent dans l’art oriental. Et de son côté l’Occident découvre la richesse théologique et la Transfiguration, surtout dans l’art des icônes. Loin de se berner à l’imitation de la nature, l’art de l’Occident a créé des œuvres d’une grande richesse spirituelle que les orientaux apprécient. Et pourtant les deux expressions artistiques sont différentes et semblent parfois opposées.

Pour comprendre que les icônes appartiennent au patrimoine de l’Eglise Universelle, il faut voir le passé avec une grande ouverture spirituelle et un esprit fondamentalement œcuménique en dépassant les querelles de l’histoire qui ne permettent pas une vue objective.


Depuis les origines de la communauté chrétienne l’icône est son patrimoine, auquel l’Orient comme l’Occident ont apporté leur contribution. On peut dire que les origines de l’icône se trouvent dans les peintures des temps héroïques des catacombes. Au temps des persécutions elles reflètent la foi des chrétiens, en un seul Dieu. Et ce Dieu donne son Fils pour sauver le monde, car il est amour. C’est un témoignage opposé à la violence des empereurs, qui depuis Caligula se faisaient adorer.

C’est donc la foi commune de toute l’Eglise qui est à l’origine de l’art chrétien, en Occident comme en Orient. Et l’influence de la foi chrétienne va influencer l’image de l’empereur qui entre dans l’iconographie chrétienne, mais fondamentalement changée : elle se transforme en image de la majesté du Créateur qui déterminera jusqu’à nos jours la nature de l’icône. Majesté veut dire transcendance, une dimension qui est présente dans chaque icône, comme une mélodie de fond.

André Grabat dit : « La raison essentielle pour laquelle l’art impérial a pu servir de modèle pour les représentations chrétiennes est à chercher dans le fait qu’il s’agissait … d’un langage idéologique religieux …en autres termes le passage d’une réalité apparente à une réalité nouménale, suprasensible, absolue » C’est donc le parallélisme entre la majesté de l’empereur et la personne du Christ qui justifie le recours de l’art chrétien à l’art impérial.

Une autre influence vient de l’art funéraire de la Basse Antiquité : Dans ces lieux se manifeste la primauté de la vision de Dieu comme voie vers le salut de l’homme. Celui qui avait donné sa vie au Christ était devenu un témoin immédiat de son maître. Par son contact direct avec Dieu il était rempli par la grâce qui lui donnait la force d’accepter la mort. Et il devenait capable d’être incorporé dans les cycles plus anciens de l’iconographie. C’est donc dans les ‘martyria’ non seulement à Rome, mais aussi en Orient que se forme l’iconographie des saints.
Une autre parallèle apparaît dans l’importance qu’on accordait aux lieux sacrés. Dans les religions de l’Antiquité c’étaient des lieux où les divinités s’étaient manifestées pour opérer des guérissons ou sauver les fidèles d’un danger. En honneur de ces apparitions, en grec appelées ‘Epiphanies’ étaient élevées de nombreux temples et sanctuaires. Deux aspects sont présents partout : la luminosité et la frontalité, deux formes prédestinées à la représentation d’un souverain sur le trône. Mais en face d’une théophanie la splendeur de l’art byzantin n’est qu’un faible reflet de la nature lumineuse d’une théophanie. Si elle était pour un contemplatif de l’Antiquité comme Philon une expérience mystique « sous la possession divine de plus rien reconnaître, ni le lieu où j’étais, ni les témoins, ni moi-même », pour l’Ancien testament la Théophanie est une expérience fondamentale qui prépare celle du Dieu Incarné. Ainsi, dans les martyria, comme dans les absides des églises apparaissent les Théophanies du Nouveau Testament, la Transfiguration l’Ascension et la Majesté de Dieu qui apparaît dans le Christ en gloire.

La contemplation visionnaire ouvre l’intelligence de l’homme vers une beauté lumineuse. L’icône devient reflet de l’invisible. Alors, sa nature implique un style particulier de la peinture : unité construite sur un plan, dessin pur, et une composition où règne l’équilibre. C’est l’action de l’invisible qui selon sa définition est simple et uniforme.

Pour entrer dans ce monde, différent du monde matériel, pour être en mesure de découvrir en lui le reflet d’une réalité spirituelle, il faut une vision de ‘l’œil intérieur’. Sans vouloir faire du Néoplatonisme l’unique instrument d’explication, ici apparaît déjà la nature de l’icône : Elle cherche à manifester l’essence des choses, devient indifférente aux apparences extérieures et cherche à ouvrir l’âme au divin. Elle abandonne les lois de la nature, le relief, la perspective naturelle et l’imitation des couleurs de la nature. Ainsi l’icône conduit l’âme à la vraie Connaissance du divin.

La rencontre avec l’image ne se limite pas à la vision mais conduit nécessairement à la communion avec celui qui est représenté. Pour que l’homme puisse participer à la vision du Divin, il faut que son regard soit préparé par une purification, car l’œil doit se rendre semblable à celui qu’il veut contempler. Ici aussi les idées de Plotin développent cette logique, une logique qui est l’expérience de tout visionnaire : «  Jamais l’œil ne verrait le soleil sans être semblable au soleil… » Ainsi celui qui contemple est absorbé par l’objet contemplé. Il devient spirituellement cet objet. Ne faut-il pas penser au phénomène de « l’être attiré à l’intérieur de la scène » et faire de celui qui contemple une partie de ce qui est représenté ? Il faut voir l’image avec les ‘yeux de l’esprit’, la libérer de la pesanteur de la matière, faire disparaître le volume, le poids, la variété des mouvements et les couleurs naturelles. Ainsi l’image devient reflet, et plus encore, lieu de présence du monde de Dieu.



La Résurrection - Père Egon Sendler

Grâce aux travaux d’André Grabar on sait aujourd’hui que les idées du Néoplatonisme sont la clé pour une connaissance approfondie de l’art byzantin. Elles ont façonné cet art et ses icônes dans une lente évolution. A l’Occident également la peinture religieuse a participé à cette évolution. Son style montre des formes très proches de l’Orient. Dans le monde chrétien apparaît l’image dans sa dimension spirituelle, comme préparée pour recevoir le baptême de la théologie chrétienne.

A l’époque, où les pèlerins vénèrent à Rome les icônes dans les sept églises, où le pape Grégoire III demande à l’empereur de Byzance de respecter les anciennes traditions pour la vénération des images saintes, l’Eglise d’Orient entre dans une crise, qui durera plus d’un siècle. Et même temps se produit un fait contradictoire : l’image reçoit une théologie, et du coup une nouvelle dimension. Les théologiens qui défendent les saintes images les justifient par le dogme central de la foi, l’Incarnation.

L’icône ne reflète pas seulement la majesté du Divin, ne transforme pas seulement les lois de l’univers matériel pour faire apparaître le mystère de Dieu, elle est enracinée dans l’Incarnation. Les arguments des iconodoules conduisent, à travers la légitimation par le Fils du Père devenu homme, par la ressemblance spirituelle avec  lui, à une union avec lui. Elle se fait par le « prototype ». Le lien de cette union est de nature spirituelle, de la même nature que celle de l’Esprit Saint.


La Transfiguration - Père Egon Sendler

Incarnation n’est pas seulement l’union du Verbe avec la nature humaine, elle se réalise dans tous les domaines de la vie de l’univers. Elle transforme la communauté des chrétiens, avec les deux dimensions qui sont la société organisée et le corps mystique du Christ. Elle transforme aussi l’image, qui était avant une simple expression d’un message, en lieu de présence du Christ et des saints. C’est justement ce que, au temps de l’iconoclasme, les défenseurs des saintes images voyaient dans la fonction du ‘prototype’.

Le prototype ne se limite pas à un exemple ou une à réalité qui est figurée par l’image. Le Christ qui est représenté sur l’icône n’est pas seulement un faible reflet du mystère de sa personne, c’est Lui-même qui devient présent, non pas d’une façon matérielle, mais d’une nature spirituelle. En fait l’image tire son existence de ce prototype, elle n’a pas d’existence sans lui. Mais plus importante encore est la conséquence, que par cette union « noétique » l’image devient instrument de la révélation et de la grâce, elle devient icône. Comme ‘présence dans la prière’ elle fait partie intégrante de la liturgie.


Il faut reconnaître que les communautés de l’Orient chrétien ne sont pas toujours de cette vérité, encore moins celles de l’Occident. Mais il ne faut pas oublier, qu’ici les images sacrées sont aussi vénérées dans les liturgies solennelles avec de l’encens, ou bien dans la prière silencieuse par la méditation. Mais le don de la théologie orientale est de voir en elles un lieu de présence de celui qui est représenté, et de les vénérer pour cette raison. Ainsi la vénération des icônes est loin d’être de la superstition ou une forme de spiritualité populaire. Au contraire, elle est l’expression profonde de la foi, la conviction que le Fils du Père s’est incarné dans la matière.

L’image n’est pas une icône, et l’icône n’est pas une image occidentale. Même si Léonid Ouspenski croit que toute image qui représente fidèlement la révélation, peut être considérée comme une icône. Cela est vrai sur le plan du message. Ce message doit être assimilé par la méditation, comme il est recommandé dans les exercices spirituels. Le retraitant doit entrer dans la scène présente devant son âme. Ainsi se prépare une communion spirituelle. Dieu et l’homme deviennent un.

Le fidèle qui prie devant une icône tend aussi vers la communion spirituelle. Il ouvre son cœur comme devant les rayons du soleil. De ce Soleil il reçoit la lumière de la vérité et la chaleur de l’amour pour sa vie. Il est rempli de ces grâces. Ceci ne veut pas dire qu’il suffit d’être passif. Ceci touche non seulement les maîtres spirituels mais aussi chaque homme qui veut prier. Les maîtres spirituels savent que cette attitude demande beaucoup d’énergie spirituelle pour s’ouvrir à Dieu. Mais l’attente est la même que celle de son frère occidental : la communion avec Dieu.

C’est donc la prière qui est le véritable patrimoine de l’Eglise indivise. L’icône est prière. C’est aussi la raison, pour laquelle toutes ces oeuvres, depuis la modeste icône copte de l’higuomène Menas, passant par les mosaïques de Ravenne, les fresques de Serbie ou de Novgorod, faites par Théophane le Grec, les icônes du Mont Sinaï ou le Jugement Dernier de Vladimir d’André Roubliov, mais aussi par la Sixtine ou d’autres fresques, toutes ces œuvres appartiennent à l’Eglise , car elles sont des dons à celui qui est le Maître de l’univers.

En même temps, ces œuvres sont différentes, tant par leur style que par leurs thèmes. Chaque peuple, chaque culture exprime les vérités de la foi à sa façon, non seulement selon leur idéal esthétique, mais aussi pour répondre aux questions de l’époque. Nous devons donc nous approcher des œuvres non comme des étrangers mais dans un esprit œcuménique. Chacun chante la louange de Dieu dans sa langue.

Et pourtant ce patrimoine doit nous rendre reconnaissants pour ce que nous avons reçu de nos frères : cette vérité que l’image n’est pas seulement une illustration ou un message, mais qu’elle reflète la révélation divine, car elle est liée à l’Incarnation. Qu’elle nous rappelle en même temps que Dieu dépasse notre imagination et que nous ne pouvons pas Le représenter avec nos formes terrestres, mais qu’Il accepte les œuvres de nos mains et de notre foi. Soyons reconnaissants de la richesse de la pensée de l’Eglise d’Orient et de sa liturgie manifestée par les icônes. Soyons enfin reconnaissants, de pouvoir grâce à leur inexprimable mystère, et malgré nos séparations, unir nos louanges, nous tous.

Père Egon Sendler

 

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